"Dans mon ignorance, parmi les hommes de la colonie et parmi les hommes du nombre, et dans le souvenir d'autres hommes du passé, j'avance comme je peux, par moments, m'arrête et prends la pose, prends la pose et m'éloigne, disparais comme une fille, remonte à la surface et comme le nombre à l'état sauvage, comme chacun d'entre eux, gagne à exister, n'existe que par contraste, invente la nuit noire, en retiens par cœur certains passages. Je suis un homme, une femme en exil. Je suis un homme par esprit de contradiction." Bruno Bisaro

Par ce livre regroupant des poésies datant de 1986 à 2003, Bruno Bisaro se fait connaître du public. L’intrépide est présenté à deux reprises au Salon du livre en 2005 et en 2006. Bruno Bisaro se réfère ici autant qu'il rend hommage à Bob Dylan, Edgar Allan Poe, Arthur Rimbaud, Yves Simon, Vladimir Maïakovski, Pier Paolo Pasolini, Mano Solo, Jean-Luc Godard, Wladyslaw Znorko... Ce livre s'achève par la "Chanson de Jérémy" qu’il enregistre en 2007 au studio Beaujeu.

"C'est alors que j'ai ressenti le besoin de détruire le monde. J'ai souhaité tout cela par amour, si j'ai bonne mémoire. J'ai tout brûlé sur son passage au nom d'un idéal (un seul), au nom de la réalité de cet autre que j'aimais et que je n'ai jamais cessé d'aimer. Si c'était à refaire, je referais pareillement, avec davantage de fureur peut-être et un peu moins de compassion à l'égard de mes semblables. Je crois bien que je n'épargnerais personne. Ainsi dans et par la destruction totale du monde, tel qu'il était jusque là, c'est-à-dire comme je pouvais l'imaginer, j'ai goûté à notre amour et cet amour est demeuré intact et présent en moi à jamais. La guerre contre le terrorisme dans sa formulation actuelle (et dans ses formes actuelles) est une guerre perdue d'avance. Elle suppose que l'on soit capable de mener des batailles contre tous les amoureux en puissance, contre tous les damnés de la terre. AVANT TOUT, DEMEURER POÈTES, RÉSISTER, RETROUVER NOTRE FACULTÉ D'ÊTRE DIGNES DANS CES TEMPS OBSCÈNES."

Bruno Bisaro

Elle n'ignore plus rien de tes mensonges, tes mensonges à propos de la littérature et à propos du théâtre valent bien d'autres mensonges, ceux de la littérature contemporaine, ceux du théâtre contemporain, la reine est entrée,

Elle entre dans le théâtre des enfants que nous étions et que nous n'aurons jamais, aujourd'hui nous mourons tous les deux, non par manque d'ambition mais par manque de savoir, loin de la chose contemporaine."

 Bruno Bisaro 

"Il existe des régions humaines où le simple fait d'exister nous rend coupables. Ce sont des régions où l'innocence d'exister a disparu depuis longtemps." Bruno Bisaro

"Il n'a pas bougé. Il est toujours assis sur cette chaise au milieu du salon, disparu, égaré parmi les cartons de déménagement, dans la lumière des vitraux. Il entend la voix des deux autres se perdre de l'autre côté du mur, de l'autre côté de la mer, dans le boulevard qui mène certainement à l'ascenseur (nous sommes probablement au quatrième acte du rêve). C'est un couple non pas sans histoire mais sans dispute véritable et il leur manque les mots pour avoir de l'esprit et admettre seulement qu'ils se désirent. Autour de lui, ce n'est pas l'atmosphère des anciennes basiliques. C'est une chambre sans écho dont la clarté du dehors nous apparaît presque jaune et il se tient assis avec la volonté de ne rien vouloir propre au rêve et à la réalisation d'une solitude immense. Il pourrait se lever et partir à leur poursuite mais il ne ressent rien d'autre que la douleur de celui qu'on oublie (et qui ne peut oublier) et dans le silence que seul un rêve peut imposer, on se tient droit sur sa chaise... Comme au théâtre, un fils de bonne famille prend la pause (l'homme qu'il est se rêve mal éduqué), dans le temps expressionniste d'une pendule de salon et pendant tout ce temps (et dans le temps qui retentit au loin timidement), il se réveille de sa solitude. Joseph ne reviendra pas. Je n'ai pas su l'accueillir triomphant. Triomphant de ses mois de solitude ou de ceux passés dans la solitude d'un autre que moi. Je n'ai pas su... Réalité du souvenir, réalité de l'oubli. On ne s'installe pas en relation avec l'autre pour se retrouver soi-même mais pour se perdre." Bruno Bisaro

"Moi et ma petite amie contemplions l'état de choc du garçon dans le jaune vitreux de ses yeux, et dans le blanc devenu jaune, et devant Saint-Paul qui ne bougeait pas (il ne bronchait pas), et dans cette nuit totale de refroidissement, cet état de choc nous renvoyait à nos propres états de choc, depuis la nuit des temps, depuis le jour qui se lève, depuis le premier viol de la première nuit, de la première femme, depuis la première bière, depuis la première flaque de bière de l'histoire de l'humanité de l'ère chrétienne. Cette nuit-là, moi aussi, j'avais compris que je ne m'en sortirai pas..." Bruno Bisaro